C’est encore en parcourant le web… que je suis tombé sur cette très intéressante traduction d’un article de Karlheinz Stockhausen effectué par Jean-François LAGROST.
Le texte original a pour titre « Elektronische Musik zu Kathinkas Gesang als Luzifers Requiem » il est du 15 décembre 1984, et est paru dans Neuland, volume V, 1984/85, pages 117 à 139.
Quelques extraits :
Depuis l’ouverture du studio de musique électronique à l’IRCAM, j’y ai régulièrement été invité pour des démonstrations d’appareils. Parmi les exemples sonores de la bande de démonstration faite par Giuseppe di Giugno (le réalisateur du synthétiseur 4X), j’ai été fasciné par un exemple de la lente rotation de phases de ce qu’il appelait fièrement le spectre harmonique de « plus de 700 générateurs à phase synchrone ».
À ma première occasion de savoir si, pour moi, la réalisation d’un projet important à l’IRCAM était concevable, je me consacrai alors aux procédés de rotation de phases qui utilisent le synthétiseur 4X.
La 4X a six « plaques » (cartes de mémoire), et chaque carte peut être programmée pour au maximum 64 oscillateurs, quand ils sont utilisés avec un taux d’échantillonnage de 32 000 Hz (bien qu’au-dessus de 16 000 Hz plus rien n’existe). Il y a par conséquent 6 x 64 = 384 oscillateurs programmables. Chaque plaque est divisible en 32 + 32 oscillateurs. Si l’on veut produire une succession continue de spectres, ces plaques doivent être divisées en deux moitiés (avec 3 x 2 sorties chacune, donc 6 potentiomètres), de manière à ce que pendant l’exécution du programme d’une moitié on puisse « charger » l’autre moitié avec un autre programme. En fonction de la complexité du programme, le « chargement » peut parfois durer assez longtemps (dans mon programme parfois jusqu’à six secondes). Ainsi le nombre d’oscillateurs utilisables simultanément est automatiquement réduit de moitié, soit 192 (3 x 64 ou 6 x 32). Les 12 sorties des 6 plaques (chacune divisée en deux) purent être réglées séparément pendant le travail au moyen de 6 x 2 régulateurs de volume sur une table de mixage, et – si nécessaire – filtrées.
Composition et réalisation
En mai 1983, j’écrivis d’abord un schéma formel pour la musique électronique du Chant de Kathinka, avec explications des symboles. Il contient les informations pour la programmation théorique. J’en discutai avec Marc Battier, un musicien-technicien de l’IRCAM (Paris), avec qui je voulais travailler. En décembre 1983 et août 1984 je réalisai la musique électronique en 2 x 7 jours à l’IRCAM. Marc Battier programma la 4X d’après ma partition en utilisant un ordinateur PDP-11.
Les notes de travail rédigées lors du travail en studio contiennent les données concernant les particularités de timbres et de dynamiques relatives choisies à l’oreille. Ces dernières furent résumées dans un schéma de synchronisation de 4 pages avec 2 x 6 pistes pour la copie de la 4X vers une bande de 16 pistes. Un complément au schéma de synchronisation avec les mesures d’amplitudes est le résultat du mixage (21 août 1984) à l’Espace de Projection depuis le magnétophone 16 pistes vers un magnétophone 8 pistes pour la production d’un original destiné aux représentations. Dans ce schéma j’ai ajouté la numérotation (au-dessus de chaque ) de K1 à K6.
La réalisation fut terminée le 22 août 1984 à l’IRCAM. Les tables d’onde pour les K1-K6, automatiquement reprises, sont datées du 20 juillet 1983; la totalité des tables d’onde notées en ellipses dans le schéma formel sont datées du 14 décembre 1983!; la dernière version de l’explication du nom des partitions et de la partition complète est datée du 20 août 1984.Du 9 au 14 mai 1985 se dérouleront à l’IRCAM la création mondiale et cinq représentations, avec Kathinka Pasveer (flûte) et une projection 6 pistes de la musique électronique.1 L’oeuvre a dure environ 33 minutes. Son aspect fondamental est la polyphonie spatiale en 6 couches des rotations de phases contrôlées de spectres harmoniques. Une nouvelle orientation de la logique musicale, qui n’était pas réalisable avec les moyens techniques disponibles jusque lors, se dessine dans le domaine de l’harmonique. Les rotations de phases simultanées des groupes de partiels à phases synchrones riches en harmoniques (pour certaines fondamentales et certaines durées d’une rotation, surtout pour des très longues durées et pour quelques relations dynamiques des groupes de partiels entre eux) peuvent être d’une beauté comme jamais on n’en a fait l’expérience. Les changements de rotations de phases lentes ont une logique temporelle tellement intense que l’on peut précisément suivre des quarts, des tiers mais surtout des demiphases; et la convergence des maxima de tous les harmoniques au moment où l’amplitude passe par zéro produit une brève et sèche explosion qui est à chaque fois vécue comme un nouveau commencement libérateur. C’est pourquoi je voudrais sommairement décrire la composition et la réalisation de l’oeuvre. Les commentaires sur la signification du caractère de requiem, les 24 périodes etc., du Chant de Kathinka sont dans l’avant-propos de la partition version pour flûte et six percussionnistes.
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